Regard sur le cinéma birman

Regard sur le cinéma Birman

Le 31ème Festival International des Cinémas d’Asie offre une occasion unique cette année de plonger au cœur d’un univers cinématographique encore méconnu : celui de la Birmanie. Ce cycle n’a pas simplement pour objet une exploration artistique, mais permet de découvrir un pays à la croisée des influences culturelles et des destins, à travers le regard de réalisateurs animés d’une volonté viscérale de capter les complexités de leur société.

Il propose une sélection inédite de 28 films, dont deux concourront pendant ce festival : MA - Cry of Silence (The Maw Naing, 2024), en compétition fiction, et Bittersweet Honey (Freddy, 2023), en compétition documentaire. Ces 28 films (longs et court-métrages), documentaires, drames ou d’animation, concourent à composer, comme autant de facettes, un autoportrait intime, sensible et vibrant de la Birmanie.

Le 31ème Festival International des Cinémas d’Asie offre une occasion unique cette année de plonger au cœur d’un univers cinématographique encore méconnu : celui de la Birmanie. Ce cycle n’a pas simplement pour objet une exploration artistique, mais permet de découvrir un pays à la croisée des influences culturelles et des destins, à travers le regard de réalisateurs animés d’une volonté viscérale de capter les complexités de leur société.

Il propose une sélection inédite de 28 films, dont deux concourront pendant ce festival : MA - Cry of Silence (The Maw Naing, 2024), en compétition fiction, et Bittersweet Honey (Freddy, 2023), en compétition documentaire. Ces 28 films (longs et court-métrages), documentaires, drames ou d’animation, concourent à composer, comme autant de facettes, un autoportrait intime, sensible et vibrant de la Birmanie.

Depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021 et l’annihilation du processus démocratique, la scène cinématographique birmane a éclaté, contraignant de nombreux réalisateurs à l’exil ou à poursuivre leur travail dans une clandestinité dangereuse. Ces conditions terribles n’ont pas réussi à les faire œuvrer à explorer les questions de l’exil, de la violence, de l’identité et de la mémoire. Ce contexte politique donne une signification toute particulière à ce cycle, qui met à l’écran ces voix birmanes de la résistance, quatre ans presque, jour pour jour, après que la situation ait basculé, dans l’indifférence quasi-totale de la communauté internationale.

Mosaïque ethnique, religieuse et géographique d’une extrême diversité, la Birmanie est composée, outre la majorité bamar, d’environ 130 minorités dotées de leurs cultures et langues propres, représentant près d’un tiers de la population et s’étendant sur la moitié du territoire. Le bouddhisme theravāda y joue un rôle central, coexistant avec le culte des esprits, le christianisme, l’islam et l’hindouisme. Située entre l’Inde et la Chine, la Birmanie est au cœur d’enjeux géopolitiques cruciaux, exacerbés par son accès à l’océan Indien, ses prodigieuses ressources naturelles et son abondante main d’œuvre.

Le cinéma birman reflète l’histoire tourmentée et les spécificités de ce pays. Sous la période du royaume de Bagan (IXème-XIIIème siècles), la Birmanie atteint un apogée culturel marqué par la diffusion du bouddhisme theravāda. Au XVIème siècle, sous la dynastie Taungû, le pays devient le plus grand empire d’Asie du Sud-Est, puissance militaire et culturelle qui soumet la région. Dans le sillage de la domination britannique dès 1824, le cinéma birman naît au début du XXème siècle, introduit par des entrepreneurs indiens qui projettent des films importés. Le premier film réalisé en Birmanie est une captation des funérailles de Tun Shein, militant pour l’indépendance birmane, tournée peu avant 1914. Les premières productions locales de fictions s’ensuivent, influencées par les récits traditionnels et les épopées religieuses, avant que des films traitant de thèmes sociaux ne prennent le devant de la scène dans les années 1930 (La Jungle émeraude, Maung Tin Maung, 1934). Le cinéma devient un outil de résistance culturelle jusqu’à l’indépendance en 1948, qui voit émerger une nouvelle vague de réalisateurs. Les années 1950 à 1960 sont souvent considérées comme l’âge d’or du cinéma birman (My Darling, Pho Par Gyi, 1950), marquées par une production florissante, raffinée et variée qui n’hésite pas à aborder des thèmes sociaux et politiques.

Le coup d’état du général Ne Win en 1962 et l’entrée dans « la voie birmane vers le socialisme » marque le début d’une censure stricte. Les cinéastes sont contraints de travailler dans un cadre idéologique étroit, que certains parviennent cependant à contourner. Comme le souligne Jane Ferguson3 , le cinéma birman a toujours été un espace de contestation et d’expression, même dans les périodes les plus sombres, où les œuvres reflétaient souvent des allégories sociales et politiques subtiles (Tender Are The Feet, Maung Wunna, 1973).

En 1988, la Birmanie connaît un soulèvement populaire sans précédent contre le régime militaire, réclamant démocratie et réformes. Aung San Suu Kyi émerge comme figure centrale de l'opposition et fonde la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND). Violemment réprimé, ce mouvement conduit à son assignation à résidence, malgré des élections tenues en 1990 où son parti remporte une victoire écrasante. L'année suivante, en 1989, la junte renomme le pays « Myanmar » dans une tentative de consolidation de son pouvoir, tout en exacerbant les tensions ethniques et en imposant des restrictions sévères à la liberté artistique. Cette période marque également une montée de l’ultranationalisme bouddhiste, posant les bases d’une haine antimusulmans qui culminera avec le génocide des Rohingyas entre 2016 et 2017.

La décennie 2011-2021 marque une période d’accalmie et d’ouverture démocratique avec l’accès au pouvoir de la Ligue nationale pour la démocratie, dont Aung San Suu Kyi est la cheffe de facto, malgré son rôle limité par l'armée, et s’accompagne d’une renaissance cinématographique favorisée par un assouplissement de la censure.

Le coup d’État du 1er février 2021 porte un coup sévère à cette renaissance. Les membres du gouvernement démocratiquement élus sont arrêtés et de nombreux réalisateurs sont emprisonnés, torturés ou contraints à l’exil, tout comme de nombreux Birmans qui se lancent dans des manifestations pacifiques avec le Civil Disobedience Movement (CDM) avant de prendre les armes pour se battre aux côtés des People's Defence Forces (PDF)4 et des armées ethniques.

Pourtant, les cinéastes birmans, clandestins ou exilés, dispersés à travers le monde, continuent à produire des films. Ils poursuivent leur approfondissement des thèmes de l’identité culturelle, de la mémoire et de la survie visibles dans cette programmation qui reflète les blessures, les luttes et les espoirs d’une nation marquée par des décennies de conflits et de répression.

Un dénominateur commun d’une large part des films de cette programmation est la détermination des individus et des communautés à résister aux oppressions et à s’acheminer coûte que coûte vers leur but. MA-Cry of Silence (The Maw Naing, 2024) dépeint des ouvrières se dressant contre l’injustice et s’acheminant vers le combat de leur vie, tandis que Bittersweet Honey (Freddy, 2023) suit trois apiculteurs dont la survie est compromise par la guerre civile, métaphore poignante sur la fragilité des écosystèmes face aux conflits humains. Le pétillant Money Has Four Legs (Maung Sun, 2020) nous jette sur les traces d’un jeune réalisateur déterminé à boucler son film conformément à sa vision artistique, en dépit des infortunes qui s’accumulent sur son chemin. What Happened to The Wolf? (Na Gyi, 2021) nous fait suivre dans un road movie poétique deux femmes dans des phases de maladie terminales, décidées à accepter leur sort tandis que dans Guilt (Na Gyi, 2023), une jeune femme engagée dans la résistance est décidée à fuir le pays tandis que son compagnon est torturé en détention. La violence et le dédain sous toutes ses formes, notamment envers les femmes, constitue un autre axe central de cette programmation. 14 Apples (Midi Z, 2018) aborde notamment avec subtilité la question de la perte d’aura que provoquerait pour un homme la proximité avec des vêtements de femmes, tandis que Kayah Lily (Mi Mi Lwin et Htwe Htwede, 2020) explore les conséquences traumatisantes d'un viol sur une enfant. Dear Daughter (Hsu Pan Naing, 2021) expose le trafic des femmes birmanes vendues comme épouses en Chine. Pour ces sujets les plus révoltants, l’animation permet souvent une prodigieuse mise à distance autorisant à contempler l’effroyable. Les discriminations interethniques, notamment le racisme anti-musulman, sont aussi abordées avec courage dans des films comme A Love Like Ours (Yan Paing Htun, 2022) et Our Town (Htun Tauk Moe Thu, Saw Eh Doh Poe, Shin Thandar, 2023), qui reviennent sur les drames vécus par la communauté musulmane en Birmanie.

La question des résistances identitaires et culturelles est également superbement illustrée par des films comme Black Lady Sings (Mi Ni Ni Aung, 2023) qui suit Mon Masein, danseuse de 76 ans, dans sa quête pour préserver sa culture môn, tandis que The Girl with Brass Rings (Sai Naw Kham, 2022) célèbre les traditions des Padaung, menacées par l’uniformisation.

Tous ces récits reflètent une résilience collective profondément ancrée dans la culture birmane, où chaque lutte, qu’elle soit politique, sociale, écologique ou identitaire, devient une quête de justice et de dignité. Ici, le cinéma birman ne se contente pas de refléter les réalités de son pays, il agit comme une force de transformation, révélant la poésie dans les luttes, la beauté dans la résilience et la force dans l’espoir.

Parmi tous ces films, Nargis-When Time Stops Breathing (The Maw Naing, Pe Maung Same, 2009), premier long métrage documentaire birman, occupe une place particulière. Bouleversant, il offre un témoignage poignant des conséquences du cyclone Nargis, qui a frappé le delta de l’Irrawaddy en 2008, et de la dignité du peuple birman. Pe Maung Same a tragiquement perdu la vie en août 2024 après avoir été emprisonné, torturé et privé de soins médicaux par le régime militaire, à la suite de son engagement dans les manifestations d’opposition au coup d’état. Sa disparition est le symbole des risques encourus par les artistes birmans, et vient en grossir encore le rang des martyrs. En lui dédiant cette programmation, ainsi qu’aux réalisateurs, producteurs et artistes qui, souvent au péril de leur vie, défient la censure et la répression, le FICA leur rend hommage et offre une tribune à ces voix puissantes qui transcendent leur contexte national pour parler à l’universel : la quête de justice, l’affirmation de soi et la force de la solidarité.

Aloÿse de La Faye

Spécialiste du cinéma birman

Annotations :

1 La question de l’utilisation des termes « Birmanie » et « Myanmar » reste complexe et sujette à débat, tant à l’international qu’au sein de la société birmane. En 1989, la junte militaire a officiellement renommé le pays « Myanmar » pour effacer les connotations coloniales du nom « Birmanie », qui dérive de l’ethnie majoritaire, les Bamar. Toutefois, ce changement n’a jamais été universellement accepté : certains opposants, militants prodémocratie et groupes ethniques ont considéré le terme « Myanmar » comme imposé par un régime illégitime tandis que d’autres l’ont adopté en y voyant un progrès. En France, le terme « Birmanie » reste majoritairement utilisé dans les communications officielles, traduisant une position critique à l’égard de l'autorité de la junte et témoignant d’un soutien implicite aux forces démocratiques. Ce choix reflète également une réalité sociétale : même en Birmanie, l’usage des deux noms varie selon les contextes politiques, culturels ou linguistiques, laissant ce débat symbolique ouvert et non tranché.

2 Le bouddhisme Theravāda, centré sur les premiers enseignements du Bouddha et l’éveil individuel, contraste avec le Mahāyāna, qui valorise la compassion universelle et l’idéal du bodhisattva. La Birmanie est considérée comme un conservatoire vivant du Theravāda, avec une forte présence monastique et une place prépondérante de la religion dans la vie quotidienne. Une part significative des revenus est consacrée à des dons religieux et à l’entretien des monastères, reflétant l’importance spirituelle du bouddhisme dans la société.

3 Jane M. Ferguson, Silver Screens and Golden Dreams: A Social History of Burmese Cinema, Honolulu, University of Hawai’i Press, 2024

4 Les People's Defence Forces (PDF) sont des groupes armés de résistance créés par le gouvernement d'unité nationale (NUG) en Birmanie après le coup d'État militaire du 1er février 2021. Formés pour contrer la junte militaire, ils regroupent des civils, des déserteurs de l'armée et des activistes. Ces forces se sont structurées autour de la lutte pour rétablir la démocratie et collaborent souvent avec les armées ethniques, qui luttent depuis des décennies pour leurs droits et leur autonomie. Les PDF agissent principalement en zones rurales et pratiquent une forme de guérilla face à l'armée birmane, utilisant des armes rudimentaires ou improvisées.

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