Cinéma malayalam : Récits de désespoir, d'inquiétude et de dissidence

Cinéma malayalam :
Récits de désespoir, d'inquiétude et de dissidence

Le Kerala est un minuscule état situé à l'extrême sud de l'Inde, qui compte environ 35 millions d'habitants et dont la langue officielle est le malayalam. Il est connu pour la diversité religieuse de sa population (55 % d'hindous, 27 % de musulmans et 18 % de chrétiens), son fort taux d’alphabétisation, son héritage socialiste en politique, sa longue et riche histoire cosmopolite de commerce maritime et d'incursions coloniales, et sa diaspora importante à travers le monde. Tous ces éléments ont contribué à l'évolution de la mentalité malayalee moderne, essentiellement laïque, pluraliste et démocratique.

L'industrie cinématographique malayalam, qui fêtera son centenaire en 2028, a toujours été réputée pour sa diversité thématique et sa vigueur esthétique. Elle reste également l'une des industries cinématographiques les plus prolifiques du pays en terme de nombre de films produits : d'une moyenne de 6,5 films par an dans les années 1950 et de 27,2 dans les années 1960, elle est passée à 81,8 dans les années 1970. Dans les années 1980, le nombre de films a atteint son maximum avec 113,7 films. Dans les années 1990, sous l'effet de divers facteurs, dont l'avènement de la télévision, elle est retombée à 78,6 films. Mais au cours des premières décennies du nouveau millénaire, avec le passage complet de l'industrie au numérique, on a assisté à une résurgence de la production de films en malayalam. Si, au cours de la période quinquennale 2005-2009, le nombre de films était d'environ 82, il est passé à 156 au cours des cinq années suivantes et a culminé à plus de 182 entre 2015 et 2019.

Les années 1950 et 1960 - Décennies littéraires du réalisme social

Bien que le premier film - Vigathakumaran (L'enfant perdu) de JC Daniel ait été réalisé en 1928, ce n'est que dans les années 1950 que le cinéma malayalam a émergé en tant qu'industrie et forme d'art. Dès le début, l'accent thématique a été mis sur les thèmes sociaux et son orientation esthétique sur le réalisme. Dans les années 1950, on peut voir toute une série de films traitant de questions telles que l'oppression féodale, la discrimination par les castes, la désintégration des familles conjointes traditionnelles et l'émigration vers la ville. Il s'agissait là des principales préoccupations d'une société qui se libérait des chaînes du colonialisme et tentait de trouver une identité sociale et une vision politique qui lui soient propres. La littérature et le théâtre étaient les principales sources d'inspiration et la plupart des films de cette période étaient des adaptations et étaient influencés par les traditions théâtrales et les styles d'interprétation. Des films notables des années 50 comme Jeevitanouka (Boat of Life, K Vembu, 1951), Neelakkuyil (Blue Koel, P Bhaskaran/Ramu Kariat, 1954), Rarichan Enna Pouran (1956), et Newspaper Boy (P Ramadas, 1956) étaient tous animés par des projets nationalistes et socialistes, l'exploitation des castes et des classes, la lutte contre l'oppression féodale et les croyances obscurantistes, et la désintégration de la famille. Dans les années 1960, la même tendance s'est poursuivie. Parallèlement aux récits des films, les chansons des films ont également contribué à la création d'une industrie et d'une culture cinématographiques qui sont devenues immensément populaires. Brisant toutes les barrières sociales, les films ont visualisé, raconté et créé une société moderne et laïque.

Les années 70 - La décennie du cinéma

Les années 70 ont été marquées par un nouvel éveil cinématographique dû à divers facteurs : plusieurs institutions telles que la Film Finance Corporation, le Film & Television Institute of India et les National Film Archives ont été créées au niveau national pour soutenir le cinéma d’auteur, préserver le patrimoine cinématographique et dispenser une formation professionnelle en réalisation cinématographique. Un groupe de diplômés d'écoles de cinéma, exposés aux tendances actuelles du cinéma mondial, a réalisé une série de films qui rompaient avec les formats narratifs et visuels conventionnels. Des films comme Swayamvaram (1972) d'Adoor Gopalakrishnan sur les épreuves et les tribulations d'un couple en fuite, Athithi (The Guest, 1974) de K P Kumaran, qui traite du thème abstrait mais aussi terre-à-terre de l'attente, et Utharayanam (Throne of Capricorn, 1974) de G Aravindan, sur la perte des idéaux et de la désillusion de la jeunesse dans une société qui devient profondément corrompue et sans âme, sont des films pionniers qui ont inauguré la "nouvelle vague" en malayalam. Des cinéastes travaillant dans des styles différents et explorant divers terrains socio-politiques et esthétiques ont également vu le jour : par exemple, P A Backer a élargi et exploré le projet socio-réaliste, en traitant systématiquement des opprimés et des marginaux de la société, tels que les orphelins, les travailleurs du sexe, les paysans sans terre, les ouvriers et les rebelles (Kabani Nadi Chuvannappol (Quand la rivière Kabani est devenue rouge, 1975), Chuvanna Vithukal (Graines rouges), Manimuzhakkam (1976), et Sanghagaanam (Chorus, 1979) ; Nirmalyam (Yesterday's Offerings, 1973) de MT Vasudevan Nair raconte l'histoire d'un oracle qui voit l'univers sacré et social s'effondrer autour de lui ; Swapnadanam (Journey through a Dream, 1975) de K G George) traite des angoisses sexuelles d'un jeune homme. Aswathamavu (1978) de K R Mohanan) et Yaro Oral (Someone Unknown, 1978) de Pavithran explorent l'angoisse existentielle de l'époque à travers des personnages aliénés, spirituellement et socialement. Célébrés comme la "nouvelle vague", ces films étaient thématiquement audacieux et stylistiquement distincts, invoquant une nouvelle sensibilité et une conscience de soi en ce qui concerne la forme et le traitement. Outre le "quoi", le "comment" est devenu crucial. Si les protagonistes des décennies précédentes luttaient contre le système et regardaient vers l'avenir, les héros des années 70 étaient désillusionnés par le système.

Sexe, violence et corruption politique

Alors que les cinéastes de la "Nouvelle Vague" accaparaient toute l'attention et plaçaient le cinéma malayalam sur la carte du monde, le courant commercial dominant subissait lui aussi des changements lents mais significatifs. Outre les cinéastes à succès commercial comme IV Sasi, Sasikumar, Hariharan, etc., une nouvelle génération de cinéastes - les praticiens du "cinéma moyen" - a fait irruption sur la scène, comme Mohan, Bharathan, P. Padmarajan, Fazil, Sathyan Anthikkad, Lenin Rajendran et Balachandra Menon. Les relations homme-femme, les conflits conjugaux, l'infidélité, les conflits liés à l’éveil sexuel, la jalousie et la suspicion, etc. ont été les thèmes les plus populaires. L'industrie du film malayalam a été à son apogée durant cette période, le nombre de cinémas augmentant et les recettes du box-office s'envolant. Le fait que le premier film en 3D en Inde ait été réalisé en malayalam (My Dear Kuttichthan/ My Dear Little Goblin/ Jijo, 1984) est un indicateur de la vigueur de l'industrie.

Les années 90 - Décennie de la télévision et de la mondialisation

Les années 90 ont été marquées par un changement radical dans la politique indienne et dans les médias visuels, impactant les choix thématiques du cinéma ainsi que les attentes et les goûts du public. Les nouvelles politiques économiques mises en œuvre par le gouvernement indien ont entraîné une évolution vers la libéralisation économique, la privatisation et la mondialisation. La chute de l'Union soviétique et du bloc communiste est un autre événement qui a eu un impact considérable sur l'imagination politique des Malayalee. Le Kerala, l'un des états ayant élu un gouvernement communiste, a une longue et riche histoire de luttes

politiques socialistes et communistes, accompagnées de discours idéologiques et de pratiques artistiques dynamiques. Sur le plan des médias visuels, l’arrivée de la télévision par satellite a eu un impact considérable sur les modèles et les préférences en matière de divertissement visuel. La pléthore de téléséries populaires, dont la plupart étaient des mélodrames familiaux et amoureux, a obligé l'industrie cinématographique à changer de cap et à rechercher de nouveaux récits et formats pour attirer à nouveau le public dans les salles de cinéma. Sanglots et feuilletons ont envahi les salons et éloigné le public des salles de cinéma. Une nouvelle génération de cinéastes qui ont transcendé ou comblé le fossé entre le cinéma « artistique » et« commercial » est entrée en scène. Les plus connus d'entre eux sont Sibi Malayil, Priyadarsan, Srinivasan, Kamal, Shyamaprasad, Ranjith, Jayaraj, Balachandra Menon et Lohitadas. Leurs comédies, drames familiaux et satires sociales émotionnellement intenses ont été plébiscités par le plus grand nombre. Cette décennie a également vu la montée en puissance d’acteurs comme Mammootty et Mohanlal en tant que « super stars », eux qui ont commencé leur carrière au cours des décennies précédentes mais ont également dominé la suivante.

Le nouveau millénaire - de l'analogique au numérique

Au cours du nouveau millénaire, l'industrie de la culture visuelle a connu un autre changement majeur : le passage des technologies analogiques aux technologies numériques. Tous les domaines de l'industrie cinématographique - la production, la distribution, l'exploitation et la réception - ont subi d'énormes transformations. Avec l'arrivée sur le marché de produits de divertissement visuel mondiaux, l'industrie cinématographique locale a dû répondre aux goûts et aux attentes changeants et hautement mondialisés du nouveau public. Malgré ces limites, l'industrie cinématographique malayalee a été témoin de l'essor d'une multitude de petits films, notamment réalisés par des jeunes, à l'aise avec les nouvelles technologies et leurs formats, et qui tentaient sincèrement de créer leurs propres expressions cinématographiques "régionales", sensibles et sensées. Bien que leurs formats et leurs styles soient profondément influencés par les tendances mondiales et nationales, leurs thèmes sont fermement ancrés dans la vie et l'époque malayalee. Tournés en grande partie à l'extérieur, ces films ont réussi à sortir de l'atmosphère confinée des films d’intérieur des décennies précédentes. En outre, ils se sont également déplacés vers des espaces marginalisés tels que les bidonvilles, les zones rurales et suburbaines périphériques et les franges. Ces espaces sont dans une large mesure "laïcs", mais aussi beaucoup plus volatiles, « libres » et facilement sujets à la violence. Plus important encore, ils ont libéré le cinéma malayalam des thèmes machistes centrés sur les superstars et des espaces sociaux des classes moyennes supérieures et des castes, et ont ramené à l'écran la vie quotidienne et banale des gens ordinaires, leurs conflits, leurs rêves, leurs dilemmes et leurs luttes.

La sélection vésulienne

Cet ensemble de films du nouveau cinéma malayalam présente dix films suivant les différentes tendances et thèmes mentionnés ci-dessus. Les questions et les conflits découlant des formes souterraines mais socialement oppressives du « castéisme », des inégalités entre les sexes, de la migration, de l'utilisation abusive des médias sociaux et de l'impact de tous ces éléments sur les relations individuelles, familiales et sociales constituent le cœur de la plupart de ces récits. Ils présentent le contemporain sous des couleurs sombres mais vraies ; ils ne glorifient pas le passé ou la tradition, et n'hésitent pas à critiquer les diverses formes d'oppression et d'absence de liberté qui pèsent sur la société. Ils ne nourrissent que rarement des rêves d'avenir et ne se complaisent jamais dans une quelconque forme d'idéalisme. Ce qui rend ces films contemporains, c'est leur honnêteté brutale à l'égard du présent et leur volonté d'affronter la vérité.

Nayattu (The Hunt) de Martin Prakkatt est une critique acerbe de la politique actuelle, gérée par les intérêts particuliers à court terme des partis politiques qui veulent s'accrocher au pouvoir à tout prix, tandis que Pada de K M Kamal traite de la trahison du système en matière de protection des droits fonciers des populations indigènes. 19 (1) (a) de V S Indhu parle de l'atmosphère de peur qui règne dans une société où toutes les expressions de dissidence sont écrasées. Le titre fait référence à l'article 19 (1) (a) de la Constitution indienne qui stipule que "tous les citoyens ont droit à la liberté de parole et d'expression".

De nombreux films traitent de la question du genre et des luttes des femmes dans une société patriarcale : The Great Indian Kitchen de Jeo Baby interroge le drame conjugal et le système familial sous la forme d'une comédie noire. Le film révèle comment le mariage et la famille font des femmes des esclaves et comment cet esclavage est banalisé et normalisé. 1001 Lies de Thamar KV adopte le mode du drame en chambre pour raconter le réseau de mensonges dans lequel le mariage, les familles et les amitiés sont embourbés, posant la question troublante suivante : est-il possible d'être totalement et inconditionnellement honnête dans le mariage et l'amitié ? Aanu (Yes) de Sidharth Siva traite de la façon dont les femmes et les hommes vivent l'amour et le désamour, et montre comment les institutions du mariage et de la famille fonctionnent différemment pour les hommes et les femmes. Vettappattikalum Ottakkarum (The Hounds and the Runners) de Rarish G est un regard incisif et satirique sur la culture médiatique visuelle dans laquelle nous, nos vies, nos mentalités et nos réactions, sommes embourbés aujourd'hui, et sur la façon dont les femmes deviennent des proies faciles pour les médias. Si dans ce film, c'est la télévision avide de sensations qui s'en prend aux personnes, dans Ariyippu (Déclaration) de Mahesh Narayanan, ce sont les médias sociaux qui jouent un rôle diabolique. Un couple de Malayalee travaillant dans une usine de fabrication de gants dans une ville du nord de l'Inde, voit sa vie bouleversée par une fausse fuite sur les réseaux sociaux. Au centre de Nishiddho (Forbidden) de Tara Ramanujan se trouve également un couple, une jeune femme et un jeune homme, des migrants venus au Kerala. Tous deux rêvent d'une vie commune. Mais, comme souvent pour tous les migrants, des événements imprévisibles se produisent et leur désir de bâtir leur propre maison reste un rêve. Niraye Thathakalulla Maram (A Tree Full of Parrots) de Jayaraj est un film qui se distingue des autres, à la fois par son style narratif, ses thèmes et son approche. Structuré comme une parabole, chaque élément narratif du film - paysages, personnages, incidents, objets - prend une résonance métaphorique. Il y est question d'appartenance et de solitude, du désespoir de la vieillesse et de l'es- poir de l'enfance, de la mort et de la renaissance.

Ce qui rend ces films contemporains, c'est leur engagement intense dans le présent, même s'ils suivent des styles narratifs différents et sont animés par des préoccupations thématiques et une vision esthétique différentes. Nombre d’entre eux s'attaquent au viscéral et à l'immédiat, à l'ici et au maintenant, tandis que d'autres se penchent sur l'histoire, la nation, la politique, le genre, le foyer et la migration. Ils explorent le monde sous différents angles, interrogeant souvent le désir, le patriarcat, la violence, les médias, les relations humaines et les liens entre le monde et l'autre. Un profond courant sous-jacent de désespoir, d'inquiétude et de dissidence a été la marque de fabrique du cinéma malayalam, qui se poursuit au fil des décennies, mais qui réapparaît également et se redéfinit constamment.

C S Venkiteswaran

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